24 Octobre 2021

Je n’ai jamais vécu l’époque où une lettre était le seul moyen de communiquer – une époque où il fallait se pencher sur une page blanche et penser avant d’écrire car la place y était limitée, l’ancre indélébile, qu’il fallait payer le timbre de poste et attendre des jours, des semaines pour une réponse.

Certains disent que les moyens de communications modernes ont rendu le monde plus petit, puisque l’on peut maintenant envoyer un message à des milliers de kilomètres en quelques secondes, que ce soit à de la famille partie explorer le Vietnam où à un petit fils qui s’est trouvé une vie dans le Nord Ouest du Pacifique. D’autres, au contraire, pensent qu’il a été rendu plus grand, puisque n’importe qui peut avoir la terre entière au bout de ses doigts, entre planifier un voyage au Japon alors que l’on habite à Paris où réserver un bateau en Grèce en quelques étapes.

En vérité, le monde n’est ni plus grand, ni plus petit. Les moyens modernes l’on transformé en quelque chose de différent, de plus connecté, de plus rapide. Ils y ont ajouté une dimensions de plus, celle du digital, dont on a de la peine encore à comprendre l’impact, si ce n’est la masse d’information toujours plus grandissante, et la technologie décuplée dont elles semblent se nourrir.

Il y a quelque chose de magnifique à respirer l’odeur du vieux papier, à sentir le relief de l’ancre sous le bout de ses doigts. On peut imaginer les traits, l’énergie de celui qui a tracés ces mots-là, des jours, peut-être des années par le passé. Le monde digital a beaucoup de vieux documents, mais aucune qui sent aussi bon l’histoire. Cependant, cette paperasse numérique peut tout aussi bien être la copie d’un livre unique et rare ou une représentation en trois dimensions de la Rome antique comme on n’a jamais pu l’imaginer. Ces documents peuvent être bien plus que de simples textes.

Plus d’une fois, j’ai entendu dire que ce que les ordinateurs contenaient était temporellement limité. Qu’il suffisait de débrancher la prise pour que tout disparaisse, ne laissant plus rien derrière que la carcasse noire d’un écran mort. Que le papier, avec son intangibilité, était une manière d’archiver l’histoire bien plus sûre. Je comprends cette logique, mais je me rendre compte que, avec l’avancée des technologies actuelles, celle-ci manque de plus en plus de substance. De nos jours, je peux enregistrer l’équivalent de millions de livres sur un ordinateur de manière instantanée et les voir être répliquer aux quatre coins du monde en quelques secondes, de telle manière qu’un tremblement de terre à Tokyo, un Tsunami en Thaïlande, un feu de forêt en Californie et une inondation en France ne m’empêcheront jamais d’y accéder, peu importe où je me trouves, que ce soit dans un café à l’aéroport d’Heathrow ou sur un bateau en mer Egée. Les succès de grosses companies vient du fait qu’écrire un outil virtuel une fois permet de le répliquer à l’infini. Gentiment, mais surement, ce sera plus que ces outils qui seront répliqués. Un ordinateur ne sera pas un object en tant que tel, mais une porte vers un monde encore plus connecté qu’ajourd’hui.

Certains ont peur de l’hybridation de l’homme avec la machine. D’autres pensent que notre avancée fulgurante dans les moyens de communications et l’émergence de l’intelligence artificielle vont causer notre perte, lorsque les machines pourront penser par elle-même. Ces deux groupes ont tord. Notre mélange avec la technologie est déjà tel que notre hybridation est bien plus qu’antamée, même si pas complètement assumée. L’ère du réseaux social virtual ne fait plus crier à la révolution, c’est une chose établie. Dans les pays les plus développés, une écrasante majorité du monde regarde son téléphone au moins une fois par jour. Le terme même de téléphone est complètement dépassé tant nous utilisons ces outils pour autre chose qu’appeler. Paradoxalement, c’est cette hybridation déjà bien amorcée qui rend le deuxième opinion obsolète. Nous développons des algorithmes à notre image – et parfois avec nos biais -, qui se nourrissent de nos pensées, de nos textes, de nos vidéos. Personne n’a essayé de construire une intelligence artificielle qui ne serait pas à l’image de l’homme et n’essayerait aucunement de résoudre un de ses problèmes concrets, simplement parce que cela ne serait pas intéressant d’un point de vue non seulement utilitaire, mais aussi économique. Le monde digital que nous construisons n’est pas séparé de notre monde physique, au contraire, il ne fait que le completer, parfois de manière invisible, parfois de manière imparfaite.

Dans ce monde connecté, j’ai fait le choix de déménager à l’autre bout du monde, d’abord sur un coup de tête. Un des premiers textes que j’ai écrit ici s’appele “Hauts Fonds“, en anglais. Il raconte une histoire poétique, métaphorique, d’un bateau qui jette l’ancre dans une baie peu profonde mais inconnue, à l’autre bout du monde. L’équipage reste dans cette anse pour des semaines, qui se transforment en années. Petit à petit, ils se rendent compte que l’ancre est maintenant trop enfoncée dans la vase pour pouvoir en être retirée. À l’image de ce navire, mon emprunte sur ce côté du monde devient chaque jours plus grande, jusqu’au point où, plus comme un fait accomplis que par choix, j’ai de la peine à imaginer une vie loin de cette baie métaphorique, plus si nouvelle.

Je ne peux que rêver d’un monde où cette hybridation technologique me permettra de voyager encore plus facilement, et avec une marque écologique plus petite. Je me suis promis de prendre l’opportunité que cette technologie m’offre pour rendre mon monde plus grand. Passer un peu moins de temps sur le vieux continent, certes, mais le passer bien et avec intensité. Louper un peu, mais bien se rattraper.

Il y a quelques jours, nous avons acheté une maison. Celle-ci est dans un quartier à quinze minutes à vélo de la marina et de la mer, à dix du centre ville, et à trente des deux compagnies les plus à la pointe de la technologie, et parmis les plus valorisées au monde. Notre maison est grande, dans l’espoir de voir de la famille venir passer plus que quelques jours dans cette nouvelle baie plus si nouvelle à laquelle je me vois forcé de reconnaître un attachement de plus en plus profond. Mon coeur sera toujours partagé entre deux continents.

Ah, j’aurais tant aimé te montrer cette partie du monde. Ces montagnes, un peu plus basses que les alpes, mais tout aussi imposantes, dans le coucher du soleil qui inonde la baie luxuriante où croisent des orques, alors que les vitres de tours immenses brillent dans le lointain, formant un contraste captivant avec les forêts environnantes.  Les volcans, certains aussi hauts que le mont blanc, qui en imposent dans le lointain, rendu rose par les rayons iridescents de l’astre qui disparaît en se noyant dans le pacifique. Les étés sont chauds et beau, les hivers froids et couvert d’une neige abondante.  Dans ce havre, entre nature et attrait économique, j’ai trouvé la mer et la possibilité de naviguer au large. Au printemps, un weekend normal peut être composé d’une journée dans la poudreuse à dévaler des ravins devant les glaciers suspendus de Rainier, et d’une autre, passée en pullover, à faire avancer un bateau dans le vend, en sachant que l’eau sous la coque peut nous porter jusqu’en Polynésie.

Cette région du monde ne souffrira pas trop des cataclysmes du futur. Le réchauffement climatique, ici, risque de rendre les étés plus chauds, peut-être un peu plus secs, mais il y aura toujours une pluie abondante. Ce n’est pas pour rien que l’état de Washington est surnommé “l’Etat toujours vert“. Qu’un volcan explose, et nous aurons de grandes coulées de boues, mais toutes seront trop loin pour nous atteindre. Les chances d’une telle éruption sont aussi moindre dans le petit espace temps qui est le nôtre sur cette planète. La baie de Puget Sound est aussi un poumon vivant, tout juste modelé par l’homme. La vie, marine comme terrestre, y est exubérante. 

Je me rappellerai toujours, lorsque je suis rentré des Etats-Unis après mon premier séjour, où j’étais parti en échange à Pittsburgh, que tu m’avais dit que j’y retournerai. Je t’avais dit que non, ou que je ne savais pas. Ces Etats-Unis de la côte Est ne sont pas pour moi. Ceux de la côte ouest sont radicalement différent. Ceux du nord ouest, cette région qui s’étant de l’Alaska à l’Orégon, et qui englobe Seattle, le sont aussi. Ce n’est pas l’Amérique du “Far West”, l’Amérique du Missisippi. C’est une Amérique qui est encore plus loin. J’aurais tant aimé te la montrer, et je ne peux qu’espérer que tu la voie par mes descriptions, par mes yeux, par ma passion.