Ce texte a été écrit dans l’avions alors que je me rendais a Seattle depuis la Suisse, pour commencer un nouveau travail, en 2016. Maender.

« Quand vous recevrez cette lettre je serai dans un avion, au-dessus du Groenland. Je serai en train de partir de l’autre côté du monde – loin de tous les gens et de tout ce que je connais ici, sur cette vieille Europe. J’ai besoin de l’écrire. De partager le sentiment qui m’habite depuis quelques semaines ou mois. 

Quand le soleil se levait, il y a quelques semaines, c’était au-dessus de la réflexion rose et jaune du ciel sur la mer éternelle. Loin de tout. Un bateau est un univers fermé, une sortie de panoptique sur le monde entier. Cela vous fait sentir protégé et aventureux à la fois.  Parfois, les dauphins sautent devant la proue, joue avec la coque s’écrasant doucement sur l’eau azure de la Méditerranée. Le plancton phosphorescent éclaire le chemin laissé derrière la poupe sur les vagues et sur les vents. La cheminée blanche d’une baleine fait surface à quelques distances.

C’est lorsque l’on navigue que la phrase que l’on ma une fois dite s’applique le mieux : « Tu n’es jamais à la maison. Tu es né pour voyager et ne pas rester à une seule place ». Parce que pendant que le bateau voyage le monde, ma maison voyage avec moi – cette maison, c’est le bateau lui-même.

Mais maintenant, les choses sont différentes. Je vais commencer un travail de l’autre côté du monde. Parfois, je me sens excité. N’est-ce pas génial ? Un tout nouveau monde à découvrir, sauvage, entouré de montagnes et de mers ! Mais parfois, je me sens triste. Vide à nouveau. Seul. Seul à cause des choses que je laisse derrière. Les places que j’aime. Mais surtout, les gens que j’aime. Je vais devoir tout recommencer depuis le début. À nouveau. Et ce vide me consume. Je le bats avec mon ambition, avec mon excitation de voyager le monde et de ne jamais laisser une place non découverte derrière.

Pour moi, l’amour n’a jamais été exclusif. L’amour irradie. L’amour est comme un champ magnétique qui attire et englobe beaucoup de choses. Et lorsque ma date de départ devenait plus proche, je sentais comme si tous les gens et les choses dans ce champ magnétique étaient extraits et mis à une distance lointaine. Les personnes que j’aime voir sourire. Les vents que j’aime sentir dans mes voiles. Les montagnes que j’aime grimper. Les endroits que j’aime visiter. Mais surtout, ce qui m’énerve, c’est le temps. Le temps passe, s’envole. Je laisse des gens derrière moi et des choses qui pourraient disparaître alors que je suis loin. J’aimerais pouvoir prendre le temps et l’étranger jusqu’à ce que je puisse contrôler son flot.  Le faire aller de l’avant à mon propre rythme. Être très jeune me manque, être un enfant. Un jour semblait être une vie entière – parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’autres jours auxquels le comparer. Tout semblait nouveau, aiguisant la curiosité. L’enfant, en moi, dans mon cœur, assoiffé de savoir et curieux, sans jugement, est toujours là, endormi. Il se réveille lorsque je rêve, parfois. Il est là lorsque je ris. Il est là lorsque j’écris, lorsque je suis créatif. Mais il voit ce temps s’envoler, et avec lui toutes les opportunités qui pourraient avoir été. Et tous les gens que j’ai aimé. Tous les désirs non-dits – parce que l’enfant en moi est le rêveur qui se fout de tout à part du moment présent. Et cela peut faire mal.

Mais maintenant est le moment de lever la tête haute, de regarder loin. Je vois un futur venir pour lequel il y a beaucoup à faire. J’ai décidé d’aller de l’autre côté du monde non seulement pour découvrir de nouveaux pays et de nouveaux gens – ma soif éternelle d’atteindre davantage – mais aussi parce que c’est probablement l’un des meilleurs boulots que je pouvais espérer, et dans un domaine qui, je pense, est très intéressant et clé pour notre futur à tous. Et, même s’il est dur de laisser le présent derrière, je ne peux qu’être captivé par ce qu’il y à venir.

Et qui sait, peut-être qu’un jour je mettrai les voiles, je traverserai le Pacifique, et jetterai l’ancre de ma maison sans cesse en mouvement dans une baie où il y aura une terrasse sous les étoiles où nous pourrons tous partager l’infini ensemble à nouveau. »